Alors que nous venons de passer le Super Tuesday des primaires pour les élections américaines de 2024, et que Trump et Biden ont tous deux accumulé assez de délégués pour être les candidats de leurs partis respectifs, beaucoup de personnes restent encore confuses devant la complexité du système électoral américain. Ce dernier, avec ses délégués, ses grands électeurs, ses caucus et ses deux partis quasiment institutionnels, peut, en effet, laisser un Européen, habitué à la simplicité de mettre un bulletin papier unique dans une urne pour élire un représentant direct, plutôt confus. La confusion est d’autant plus grande que les différences sont certaines avec les modes de scrutin européens, mais aussi par la très grande polarisation de la politique américaine, chaque camp diabolisant l’autre et remettant même en cause leur victoire électorale, ce qui peut rendre difficile la compréhension par un néophyte de la politique américaine, où les questions relatives au système électoral constituent un contentieux important entre les deux protagonistes républicains et démocrates qui se déchirent et critiquent durement, l’un et l’autre, dans leurs luttes politiques et institutionnelles dont nous ne percevons finalement ici qu’un écho lointain. Ce système pourtant a, sans avoir subi quasiment aucune révision mis à part l’agrandissement du corps électoral, organisé la démocratie américaine depuis plus de 200 ans et constitue un des blocs fondateurs de l’identité républicaine étasunienne. Ce système fonctionne sur trois postulats philosophiques et juridiques : -Le Peuple est souverain et doit rester le maître de sa propre destinée, -Les États-Unis sont une fédération d’États égaux bien qu’ayant des populations ou des proportions différentes. -Une République pour fonctionner doit réaliser un équilibre entre souveraineté populaire, respect des institutions et respect des droits pour tous, par conséquent, il faut, comme l’a décrit Tocqueville, éviter la tyrannie de la majorité. C’est ainsi que le complexe système électoral étasunien s’est formé en fonction de ces trois postulats, donnant naissance à des institutions telles que le Collège Électoral mais aussi expliquant les très grandes différences régionales quant au mode de scrutin. Tout d’abord, il est important de comprendre le fonctionnement et les visées du Collège Électoral. Ce dernier est la réunion des grands électeurs en vue d’élire le Président et le Vice-Président (ce dernier faisant aujourd’hui l’objet de sa propre élection mais était, au début de la république, sélectionné comme étant le deuxième candidat à la présidence ayant récolté le plus de voix, chaque électeur ayant à l’époque deux voix chacun de façon à ce que soit facilitée l’élection unanime de George Washington) et est composé de grands électeurs représentant les États. Le nombre de grands électeurs d’un État est attribué proportionnellement à sa population (de manière similaire à la détermination du nombre de représentants au Congrès), de façon à garantir à chaque État une représentation équitable au Collège Électoral, toutefois, certains territoires, bien que n’étant pas un État, comme Washington DC, possèdent des délégués alors que d’autres territoires, comme Puerto Rico ou les îles américaines du Pacifique, ne sont pas encore représentés au Collège Électoral (bien qu’ils soient représentés aux conventions des partis lors des primaires). Le nombre de représentants au Congrès, qui détermine le nombre de grands électeurs par État, est composé des deux sénateurs par État, de façon égale, et d’un nombre variable de représentants à la Chambre, élus pour deux ans, dans des districts électoraux, en fonction de la population, et non du nombre stricto sensus de citoyens, d’où l’importance des enjeux de l’immigration qui font gonfler le nombre d’habitants dans les zones démocrates et donc leur nombre de représentants au Congrès comme l’illustrent les batailles concernant le recensement en 2020 entre Républicains, qui ne souhaitaient recenser que les citoyens, et Démocrates, qui ont réussi à s’imposer sur la question, qui voulaient que ce recensement s’étende aussi aux “non-documentés” habitant leurs villes, sujet brûlant d’actualité qu’Elon Musk a récemment médiatisé hors des cercles purement républicains. Le choix des grands électeurs est laissé à la discrétion des États dans la Constitution. Autrefois, les Sénats de chaque État choisissaient les grands électeurs mais aujourd’hui le suffrage universel est la règle pour tous les États, bien que le mode de scrutin pour désigner les grands électeurs puisse différer légèrement d’un État à l’autre. Les grands électeurs ne sont pas des personnes forcément médiatisées, ceux-ci sont souvent tenus par la loi de rester fidèles au vote pour lequel ils ont été mandatés par l’État (et donc par le Peuple) lors du collège électoral, et généralement sur le bulletin de vote, le nom du grand électeur n’est pas affiché, ou alors en petit, et est mis en avant plutôt le nom du candidat à la présidence. Le vote des grands électeurs doit être entériné par le Congrès présidé par le Vice-président, statutairement Président du Sénat, manière symbolique de confirmer le nombre de grands électeurs ralliés au nouveau Président élu (President Elect), mais face aux nombreuses controverses qui entourèrent les élections de 2020, c’est ce processus d’entérinement que le président Donald Trump, alléguant une tricherie au bénéfice des Démocrates, tenta d’arrêter en sollicitant le Vice-Président Mike Pence, qui refusa. C’est ainsi, dans le cadre de ce processus électoral américain, malgré les appels du président Trump à sa base à “ne pas entrer dans le Capitole et à manifester leur colère de façon pacifique et patriote”, qu’eurent lieu les émeutes du 6 janvier, devenues un mythe fondateur pour l’opposition à Donald Trump, repris notamment par les Démocrates et la présidence de Joe Biden. Il est tout de même à noter qu’aucune disposition constitutionnelle n’est prévue en cas de refus par le Congrès ou par le président du Sénat d’entériner un vote des grands électeurs, même pour un motif de tricherie avancé par un des deux camps, le Congrès n’ayant aucun pouvoir de refuser les grands électeurs sélectionnés par un État, au nom du droit des États et de la séparation des pouvoirs, mais prenant seulement acte de la décision du Collège Électoral concernant le nouveau ticket présidentiel gagnant. Ainsi, la situation dans laquelle, avec l’intrusion de quelques manifestants